E-quid 5_Fistule durale spinale
Charles Amanieu, Marc Hermier, Noémie Peyron, Aurélie Chabrol, Gianluca Deiana, Luis Manera
Service de Neuroradiologie, Hôpital Pierre Wertheimer, 59, boulevard Pinel 69500 Bron, France
Correspondance : C. Amanieu
E-mail :
charly.amanieu@wanadoo.fr
Observation
Un patient de 56 ans, aux antécédents de cancer broncho-pulmonaire à petites cellules traité par radiothérapie et chimiothérapie (dernière cure 5 mois plus tôt), présente depuis 4 mois un tableau de troubles sensitifs des membres inférieurs à type d’hypoesthésie-ataxie, et des troubles sphinctériens d’apparition secondaire et progressive. Une IRM médullaire est réalisée (
figures 1 et 2
).
Fig. 1
Fig. 1. IRM médullaire, coupe sagittale médiane à l’étage cervico-dorsal. Séquence pondérée T2 ; séquence pondérée T1 après injection de gadolinium.
Fig. 2
Fig. 2. IRM médullaire centrée sur l’étage lombosacré, séquence pondérée T2. Coupe sagittale médiane ; coupe sagittale paramédiane gauche.
À la lecture de l’observation, quel serait votre diagnostic parmi les propositions suivantes :
• myélite radique ;
• métastases médullaires et leptoméningées ;
• fistule durale spinale ;
• compression médullaire sur remaniements discarthrosiques étagés ;
•
myélite infectieuse.
Diagnostic
Fistule durale spinale.
Commentaire
L’IRM médullaire montre :
• un œdème médullaire avec un hypersignal T2 centromédullaire de la moelle dorsale basse et du cône terminal, sans prise de contraste, et une augmentation du volume médullaire, réalisant un aspect de myélopathie ascendante,
• la présence de petites images vasculaires péri-médullaires (éléments serpigineux en hyposignal T2 avec prise de contraste en T1 après injection), faisant évoquer des ectasies veineuses (
figures 3 et 4
),
• des remaniements discarthrosiques cervicaux et dorsaux sans retentissement canalaire significatif (
figure 3
).
Fig. 3
Figure 3 : IRM médullaire, coupe sagittale médiane à l’étage cervico-dorsal, coupes sagittales pondérées T2 (a) et T1 après injection (b). Remaniements de discarthose sans retentissement canalaire significatif (astérisques). Œdème centromédullaire (flèche). Visibilité anormale de petits vaisseaux péri-médullaires, prenant le contraste (tête de flèche).
Fig. 4
Figure 4 : IRM médullaire centrée sur l’étage lombosacré, séquence pondéré T2, coupes sagittales. Œdème centromédullaire du cône terminal (flèche). Vaisseaux péri-médullaires dilatés, visibles sous forme de vide de flux en T2 (tête de flèche).
Discussion
Les fistules artério-veineuses durales spinales sont les plus fréquentes des malformations vasculaires médullaires. S’il s’agit d’une entité relativement rare, son diagnostic est souvent porté tardivement, à l’origine d’une morbidité importante en l’absence de traitement adapté (1).
Il s’agit de l’existence d’un shunt unique (à la différence des malformations artério-veineuses caractérisées par l’existence d’un nidus) entre une artère épidurale, la plupart du temps une artère radiculo-méningée, et une veine épidurale et/ou péri-médullaire qui va se drainer à contre courant.
Anatomiquement, la vascularisation artérielle médullaire est assurée par une artère spinale antérieure et deux artères spinales postérieures.
Ces trois axes sont alimentés de façon variable par des branches médullaires des artères radiculo-méningées métamériques, issues des artères vertébrales, intercostales et lombaires.
Le drainage veineux est assuré par des veines spinales longitudinales reliées entre elles et au réseau épidural par de multiples anastomoses transversales. Ces veines spinales se drainent essentiellement dans les veines vertébrales et le système azygos.
D’un patient à l’autre, la disposition de la vascularisation épidurale et médullaire est extrêmement variable.
Les fistules durales mettent habituellement en cause un shunt artério-veineux entre artère et veine radiculo-méningée. À noter qu’il n’est pas rare que l’artère radiculo-méningée en cause soit à l’origine d’une branche médullaire segmentaire, ce qui est d’une importance capitale pour déterminer la stratégie thérapeutique.
Lorsqu’il existe un shunt artério-veineux épidural, la pression augmente dans le réseau veineux épidural, puis dans le réseau veineux péri-médullaire en raison des nombreuses anastomoses entre les deux systèmes.
Cette augmentation de la pression veineuse péri-médullaire entraîne une congestion veineuse médullaire à l’origine d’une altération de la perfusion tissulaire avec souffrance ischémique chronique et œdème médullaire (2).
Le caractère ascendant du drainage veineux explique la prédominance des lésions médullaires aux régions déclives, c’est-à-dire au cône terminal, indépendamment de la localisation cranio-caudale de la fistule.
Sur un plan anatomique, les fistules durales spinales peuvent siéger à n’importe quel étage, du trou occipital aux dernières branches sacrées. Plus de 80% des lésions siègent toutefois entre D6 et L2 (3).
Il existerait une nette prédominance masculine (5 hommes pour 1 femme atteinte), et l’âge moyen au moment du diagnostic se situe entre 55 et 60 ans (4). Leur découverte est exceptionnelle avant 30 ans.
Si l’étiologie exacte des fistules durales spinales n’est pas totalement élucidée, l’âge tardif d’apparition plaide pour une cause acquise (3).
La présentation clinique des fistules durales spinales n’a aucun caractère spécifique. Il s’agit d’abord de troubles sensitifs subjectifs ou objectifs aux membres inférieurs (paresthésies plus ou moins diffuses, hypoesthésie, ataxie...), parfois des douleurs radiculaires, et des troubles moteurs avec difficulté à la montée des escaliers (3). Les troubles sphinctériens sont habituellement plus tardifs.
On rappellera que la réalisation d’une ponction lombaire est formellement contre-indiquée lorsqu’il existe une fistule durale spinale en raison du risque de décompensation : la ponction de liquide céphalo-rachidien entraîne une diminution de la pression intra-canalaire, à l’origine d’une modification de l’équilibre des pressions du réseau vasculaire péri-médullaire qui peut conduire à une aggravation de la congestion veineuse.
Le diagnostic repose sur l’IRM et l’angiographie.
L’IRM montre typiquement un œdème centromédullaire en hypersignal sur les séquences pondérées T2, une augmentation du volume médullaire secondaire à l’œdème, et l’existence de vaisseaux péri-médullaires dilatés, visibles comme des images serpigineuses, en asignal T2 (flow void), et prenant le contraste en T1 après injection (3). Il peut exister une prise de contraste médullaire due à la souffrance ischémique chronique.
La séquence de diffusion et la cartographie ADC montrent classiquement un hypersignal en diffusion et une chute de l’ADC, confirmant l’existence d’un œdème vasogénique.
Les séquences hyper pondérées T2 (Fiesta, CISS...) et les séquences d’angio-IRM peuvent permettre de mieux détecter les veines péri- médullaires dilatées ; avec l’avantage pour l’angio-IRM, de permettre une cartographie vasculaire facilitant la localisation de l’artère afférente et la planification thérapeutique.
L’angiographie permet de confirmer la présence d’un shunt artério-veineux avec drainage veineux péri- médullaire, de localiser l’artère afférente et de planifier la stratégie thérapeutique.
En pratique, la présence à l’IRM d’un œdème centromédullaire du cône terminal et de vaisseaux péri- médullaires dilatés est quasi-pathognomonique : il n’existe pas de diagnostic différentiel en imagerie, hormis une autre forme de malformation artério-veineuse médullaire (3).
Le traitement des fistules durales spinales repose sur l’occlusion complète du shunt artério-veineux et du début de la veine de drainage, soit par voie endovasculaire, soit par voie chirurgicale.
La variabilité de l’anatomie vasculaire épidurale et médullaire est à l’origine de difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Il est essentiel de déterminer, lors du temps angiographique diagnostique, si l’artère radiculo-méningée en cause est à l’origine d’une branche médullaire segmentaire, rendant hasardeuse une tentative d’embolisation en raison du risque majeur d’ischémie médullaire.
Le pronostic dépend de la précocité de la prise en charge : l’occlusion du shunt bloque la progression des lésions médullaires. En revanche, la régression des symptômes sensitivo-moteurs présents au moment du diagnostic est inconstante (3).
Dans notre observation, la présence d’une fistule durale a été confirmée par une angiographie qui retrouvait l’existence d’un shunt épidural issue de l’artère métamérique lombaire L2 gauche avec un double drainage veineux épidural et péri-médullaire (
figure 5
).
Fig. 5
Figure 5 : Angiographie numérisée centrée sur la charnière lombosacrée. Artère lombaire afférente (L2 gauche) avec cathéter en place (flèche). Shunt artério-veineux (astérisque). Veine de drainage épidurale (tête de flèche vide). Veine de drainage périmédullaire (tête de flèche pleine).
Le patient a bénéficié dans les suites d’une embolisation par voie endovasculaire permettant d’exclure complètement la fistule et de bloquer l’évolution des symptômes.
En somme, si la présentation clinique des fistules durales spinales est aspécifique, leur présentation en IRM est très évocatrice et devrait conduire à une prise en charge rapide adaptée. À l’heure actuelle, ce diagnostic est souvent porté de manière trop tardive, grevant le pronostic fonctionnel. Une bonne connaissance des caractéristiques des fistules durales spinale en IRM (œdème centromédullaire prédominant au cône terminal et présence de vaisseaux péri-médullaires dilatés) est capitale pour l’aiguillage rapide du patient vers une structure adaptée. Notre observation présente un cas typique de fistule durale spinale dont le diagnostic doit être évoqué sur l’IRM.
Conflits d’intérêt
Aucun.
Références
1. Jellema K, Tijssen CC, Sluzewski M, van Asbeck FW, Koudstaal PJ, van Gijn J. Spinal dural arteriovenous fistulas--an underdiagnosed disease. A review of patients admitted to the spinal unit of a rehabilitation center. J Neurol 2006; 253:159-162.
2. Hurst RW, Kenyon LC, Lavi E, Raps EC, Marcotte P. Spinal dural arteriovenous fistula: the pathology of venous hypertensive myelopathy. Neurology 1995; 45:1309-1313.
3. Krings T, Geibprasert S. Spinal dural arteriovenous fistulas. AJNR Am J Neuroradiol 2009; 30:639-648.
4.
Jellema K, Tijssen CC, van Gijn J. Spinal dural arteriovenous fistulas: a congestive myelopathy that initially mimics a peripheral nerve disorder. Brain 2006; 129:3150-3164